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Fri, 8 Feb 2002 08:27:07 -0500
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Pierre Joris <[log in to unmask]>
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The Frenmch edition of the Cantos has just been reprinted by Flammarion. The
first complete translation came out only in the early eighties -- on which
occasion a number of us joined the translators at Royaumont near Paris  for
a complete reading of _Les Cantos_ over a weekend. A wonderful event! Below,
the article on the re-issue of the book from this weeks Le Monde des
Livres. -- Pierre Joris


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L'épopée d'Ezra Pound

• LE MONDE DES LIVRES | 07.02.02 | 19h25


La réédition de ses fameux "Cantos" est un événement. A l'heure où se
construit l'Europe, on plonge dans une œuvre monumentale, un classique du
XXe siècle.


LES CANTOS d'Ezra Pound. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques
Darras, Yves di Manno, Philippe Mikriammos, Denis Roche, François Sauzey,
Flammarion, "Mille & une pages", 980 p., 26 €.

"LE HALL DE L'ENFER"

A l'aube du XXIe siècle, au temps de la constitution de l'Europe, de
l'établissement d'une nouvelle monnaie (l'euro), des questions sur la
mondialisation, la lecture des Cantosengage plus que jamais un retour
rétrospectif sur le siècle passé et sur ses classiques : Joyce, Céline,
Pound. Né aux Etats Unis, à Hailey (Idaho) en 1885, mort à l'hôpital SS.
Giovanni e Paolo, à Venise (Italie), en 1972, Ezra Pound, pour le meilleur
et pour le pire, assumera dans son œuvre, et notamment dans Les Cantos,
l'essentiel de ce qui constitue un siècle dont les bouleversements se
réalisent expressivement dans la monstruosité des deux grandes guerres
mondiales.

Si Les Cantos se présentent comme une sorte d'épopée, le récit poétique
d'événements propres à l'établissement de la culture occidentale, et de ses
fondateurs, ils n'en sont pas moins étroitement liés à l'aventure d'un
homme, à la vie, à la sensibilité propre de leur auteur, et à son temps.

C'est significativement que, en 1962, lors d'un entretien, Pound déclare
avoir commencé à écrire Les Cantos "vers 1904", date à laquelle il a
découvert La Divine Comédiede Dante, bien que l'on sache que le projet du
poème ne commence à se réaliser qu'en 1915.

Ces deux dates n'en sont pas moins significatives. Les Cantos commencent
avec la découverte de l'œuvre de Dante, dans une université américaine, et
Pound s'engage dans leur rédaction, à Londres, l'année même où il apprend la
mort dans les tranchées, de son ami le sculpteur Henri Gaudier-Brzeska.

Très vite Les Cantos sont habités par les souvenirs de la guerre, les amis
morts, la situation sociale: "le prix de la vie en Occident", le trafic des
armes: "Mon travail m'avait conduit à ne plus voir les guerres l'une après
l'autre comme de simples accidents, mais comme partie intégrante du
système."Pound n'en démordra pas, en 1962, à la suite d'une autre guerre
bien autrement meurtrière, il déclarera : "J'écris pour m'opposer à cette
idée que l'Europe et la civilisation sont damnées."

"LE MUR DES SIÈCLES "

Il fallait sans doute venir d'ailleurs, l'Amérique, et être cet
Américain-là, pour prendre la mesure, l'ampleur poétique, du désastre
annoncé, et en assumer la perspective historique. Dès le premier "Canto",
épigraphe, fronton à l'ensemble de l'œuvre, Pound annonce la couleur en
traduisant, presque littéralement, l'épisode de la descente aux enfers et de
la consultation des morts par Ulysse, aux chants X et XI de l'Odyssée.

Hommes, œuvres, monuments, documents, histoires, légendes, on pourrait faire
figurer en tête des Cantosle célèbre vers de Hugo : "J'eus un rêve : le mur
des siècles m'apparut."Mais là où Victor Hugo suit "le grand fil mystérieux
du labyrinthe humain : le Progrès", et projette ce qui en est attendu, de ce
"progrès", Pound n'attend plus rien. L'expérience, la sienne et celles de
ses aînés immédiats, l'ont convaincu : la vérité a déjà eu lieu et elle a
été trahie. Dante, qu'il compare à Mencius, reste à penser. Et il s'en
explique : "Ça a d'abord commencé comme ça : il y avait six siècles à
empaqueter. Il fallait s'occuper de tout ce qui ne se trouvait pas dans La
Divine Comédie. La Légende des Sièclesde Victor Hugo ne constituait pas un
bilan, mais une compilation de lambeaux d'histoires. Le problème était
d'ériger un cycle cohérent, ramenant l'esprit contemporain à celui du Moyen
Age après l'avoir soigneusement débarrassé de la culture classique dont il
était inondé depuis la Renaissance."

Mais le Moyen Age lui-même est à repenser et le projet suppose implicitement
l'établissement et la conquête d'une autre histoire. C'est donc le sens, la
"valeur" des portées historiques d'une culture que, dans son effondrement
guerrier, il faut reprendre et repenser, c'est-à-dire écrire autrement. De
ce point de vue, le projet des Cantos est proprement monumental. Il
participe dans sa dynamique, dans ses admirables réalisations, comme dans
ses limites, d'une ambition, d'une force et aussi, disons le mot, d'une
crispation musculaire et morale sans exemple dans l'histoire de la poésie du
XXe siècle.

Il faut savoir qu'Ezra Pound a écrit et publié plusieurs volumes de poésies
avant de se consacrer, pendant plus de cinquante ans, exclusivement à
l'écriture des Cantos, qui ne voient le jour qu'à partir du moment où le
poète trouve une forme susceptible d'assumer sa vision à la fois ponctuelle,
fragmentée, discontinue et panoramique de l'histoire.

L'œuvre d'Ezra Pound s'impose, et produit un événement sans précédent dans
l'aventure de la poésie moderne, le jour où le poète découvre l'étude de
Fenollosa sur Le Caractère écrit chinois. Il en retient que, dans le procès
de composition de l'idéogramme, "deux choses adjointées ne forment pas une
troisième chose, mais suggèrent une relation fondamentale entre elles". Fort
de cette découverte, qui implique que "lire le chinois ce n'est pas jongler
avec des concepts, mais observer les choses accomplir leur destin", Ezra
Pound va s'employer à faire dialoguer entre elles, dans l'accomplissement
actuel de leur destin, les figures fragmentaires et dispersées, des
civilisations, des langues et des cultures. Et plus essentiellement la
culture occidentale et la culture orientale, à travers Dante et Confucius.
On doit ainsi comprendre que les pictogrammes chinois qui figurent dans les
Cantos s'imposent comme manifestation essentiellement programmatique de
l'œuvre.

Au cours du "Canto LXXVII", Pound accompagne la présence de deux idéogrammes
chinois du commentaire : "Savoir ce qui précède et ce qui suit vous aidera à
mieux comprendre ce qui se passe."

"LA MUSIQUE "

On entendra que la monumentalité du projet, et sa réalisation, ne sont pas,
en conséquence, sans soulever de très nombreuses difficultés
d'interprétation et de lecture. Lié au tissu complexe de relations qu'il
établit entre des éléments transhistoriques (citations, situations,
évocations, références politiques, économiques, linguistiques,
artistiques...), chaque "Canto" présente des difficultés, voire des opacités
de lecture, qu'il ne faut pas dissimuler. Et moins encore dans la mesure où
Pound en revendique le sens porté et l'intelligence mobile. Dans une lettre
adressée à Thomas Hardy, en 1921, il écrit : "Je suis parfaitement désireux
d'exiger que le lecteur lise avec autant de soin qu'il mettrait pour un
texte grec ou latin un peu difficile."

La poésie de Pound, qui, des années 1920 aux Cantos pisans (1948) est de
plus en plus didactique, ne fera jamais l'économie de cette exigence. A un
jeune poète, admirateur de l'ensemble des Cantos, mais qui ne comprend pas
pourquoi Pound a mis une partition musicale dans l'un des Cantos pisans,
Pound répond : j'entends que "vous ne lisez pas la musique".

C'est là incontestablement un des problèmes que pose cette édition française
de l'œuvre de Pound. A l'exception des traductions de Denis Roche, la
musique savante manque totalement à la transcription française de la
prosodie poundienne. Il en est malheureusement souvent ainsi des
traductions. Cela n'en est pas moins particulièrement douleureux appliqué à
un poète qui a consacré un temps considérable à ce problème, et dont l'œuvre
principale se constitue de l'intelligence active et du jeu musical qui
associent entre elles les langues les plus diverses.

Faute "du rythme qui en poésie correspond exactement à l'émotion ou au degré
d'émotion à exprimer"(1) on aurait pu attendre, près de trente ans après la
mort de Pound, une édition française qui éclaire le sens et les portées des
Cantos en les accompagnant d'un index et d'une chronologie rigoureuse (2).
Il n'en malheureusement rien. Sans index, et curieusement clanique,
tendancieuse, partielle, la chronologie de cette édition exclut par exemple
aussi bien l'histoire de l'Europe que celle des Etats-Unis (qui occupent
pourtant une place centrale dans Les Cantos) pour s'encombrer de très
misérables casseroles poétiques. Tout reste à faire en deçà et au-delà de
cette édition qui, comme les précédentes, permet pourtant heureusement
d'évoquer aujourd'hui le nom de Pound et de partarger avec lui cette
certitude :

"Ce que tu aimes bien demeure,

le reste n'est que cendre

Ce que tu aimes bien ne te sera pas arraché

Ce que tu aimes bien est ton seul héritage

A qui le monde, à moi, à eux

ou à personne ?

D'abord tu as vu, puis tu as touché

Le Paradis, même dans les corridors de l'Enfer,

Ce que tu aimes bien est ton seul héritage,

Ce que tu aimes bien ne te sera pas volé."

(1) Ezra Pound, "L'Art de la poésie", traduit par Denis Roche, Tel Quel, no
11, automne, 1962.
(2) Un tel "Index" (Annotated index to the Cantos of Ezra Pound ) a été
publié pour la première fois par John Hamilton Edwards et William W.Vasse,
aux Presses de l'Université de Californie, en 1957. Remis à jour en 1974. Il
comporte une chronologie très complète des événements politiques,
économiques et culturels. C'est un instrument indispensable et faute duquel
Les Cantos sont massivement versés au compte du bavardage insignifiant qui
constitue aujourd'hui majoritairement le genre poétique.

Marcelin Pleynet





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